2018 : 50 ans après l’assassinat du pasteur baptiste, quel message, quel héritage Martin Luther King nous a t’il laissé ?
A partir du 15 septembre 2018 : Exposition permanente “MLK, 50 ans après” au Temple de Nantes, visible aux heures d’ouverture du temple.
Du 11 octobre au 18 novembre 2018 (cf. flyer PDF en bas de page).
Vendredi 16 novembre 20h30 : “They have a dream” Lectures de textes MLK par 7 jeunes nantais
Samedi 17 novembre 14h à 18h : Master Class Gospel
Samedi 17 novembre 18h : Conférence ” La vision religieuse de MLK “ par Frédéric Rognon – Point restauration sur place
Samedi 17 novembre 20h30 : Table ronde ” Foi et action publique et civile ”
Dimanche 18 novembre 17h : Concert de Clôture GOSPEL Em’Bee & the Gospel Move Sisters (Marcel Boungou)
Derrière l’icône de la non-violence, un homme de foi à redécouvrir
Éric et Luce Gaume, membres de l’association CEPP-LA
On sait les grandes victoires que constituèrent l’adoption par le congrès américain du civil rights act en 1964 et du voting rights act en 1965, mettant fin officiellement à la ségrégation raciale aux États-Unis. On croit connaître le héraut de la lutte non violente qui est derrière. Pourtant, le cheminement intellectuel et spirituel si exigeant de cet homme d’Église en constante recherche est moins connu. Docteur en théologie (1955), le pasteur Martin Luther King junior a pris ses distances avec la foi baptiste rigoriste de son père. Un moment tenté par le protestantisme libéral dont il s’éloigne rapidement, c’est finalement dans l’action qu’il découvrira la « force d’aimer », titre français de son ouvrage le plus connu. Au-delà du tribun capable d’entrainer les foules par ses discours et prédications, son immense courage impressionne. Compte tenu de la violence de la société américaine des années 60, c’est en toute lucidité qu’il a mené le combat pour l’égalité des droits, la paix et la justice sociale, dont il présumait l’issue fatale : le prix Nobel de la paix reçu en 1964, s’il a servi sa popularité et son combat, ne constituait pas une protection. Ce risque, il l’a accueilli dans les tourments, enracinant dans la prière et dans la foi un don humble et confiant de sa personne.
C’est en ce sens que les événements programmés à l’occasion de cet anniversaire ne veulent pas seulement commémorer, rendre hommage à une figure majeure de l’histoire du XXe siècle et du christianisme. Les « actes des apôtres » ne sont pas que récit, ils viennent nous parler là où nous sommes, puisque, aujourd’hui comme hier, nous sommes appelés à être dans le monde sans être du monde.
La série d’événements de ce mois d’octobre plante le décor, avec la présentation de l’exposition « MLK 50 ans après », extrêmement riche et documentée, et la projection du film Selma, qui nous emporte dans cette destinée hors du commun. Mais déjà le débat qui suivra le film jette un pont vers notre temps, puisqu’il sera conduit par Michael O’Connor, le futur secrétaire de l’Assemblée des Quakers de France. Ce mouvement très agissant, qui fut à l’initiative de la présentation de la candidature du Dr King au prix Nobel 1964, fonde essentiellement sa pratique sur l’application quotidienne du principe de la non-violence. Frédéric de Coninck, auteur notamment de Tendre l’autre joue ? La non-violence n’est pas une attitude passive, donnera sur cette question-clef son éclairage de sociologue et d’homme de foi, engagé dans les églises protestantes, pour qui cette vertu puissante trouve sa source au cœur même de l’Évangile. Un grand témoin, enfin, Clément Quentin, incarnera avec la force de son vécu de Résistant déporté et torturé à Dachau le message d’une non-violence spirituelle qui s’accomplit dans le pardon.
Une place importante sera faite à la musique, qui est indissociable de la culture afro-américaine. Sa dimension religieuse, sa capacité à mettre les hommes en communion entre eux et avec le sacré, sera illustrée par la Pastorale des Nations au cours d’un culte Gospel. Les concerts du MLK’s Band, ensemble créé pour l’occasion, nous promettent aussi de vraies découvertes autour d’un objectif : faire entendre des musiques qui ont porté la lutte pour les droits civiques, en faire ressentir la force non seulement comme moyen d’expression, mais aussi comme moyen de lutte, qui eut sa part dans l’enchaînement des événements. Depuis les Negro spirituals jusqu’au rock en passant par les protest songs, le blues et le jazz, nous prendrons aussi la mesure de ce que leur doivent des pans entiers de la création musicale du XXe siècle.
Rendons pour finir la parole à Martin Luther King : le texte ci-dessous, qui nous dit beaucoup de sa pédagogie parfois facétieuse et présente, mieux que nous ne pourrions le faire, un aperçu synthétique de sa pensée, évoque des combats et pose des questions qui sont nôtres : justice sociale et lutte pour la paix bien sûr, mais surtout et toujours…fidélité à l’Évangile.
Lettre (imaginaire) de Paul aux chrétiens d’Amérique, par Martin Luther KING [1]
Je voudrais vous communiquer une lettre de la plume de l’apôtre Paul, écrite en grec depuis le port de Troas. Après avoir travaillé assidûment à sa traduction, je pense avoir découvert sa vraie signification. Si le contenu de cette épître sonne « kingien » plutôt que paulinien, attribuez-le à mon manque de parfaite objectivité plutôt qu’à un manque de clarté de la part de Paul.
Paul, appelé à être apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, à vous qui êtes en Amérique, grâce et paix de la part de Dieu notre Père, par notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.
Depuis de nombreuses années, j’ai désiré vous voir. J’ai entendu tant de choses à votre sujet, sur les progrès fascinants que vous avez accomplis dans le domaine de la science ! J’ai entendu parler de vos avions rapides comme l’éclair, de vos tours dressées audacieusement vers les étoiles. On m’a raconté vos grands progrès en matières médicales, prolongeant la vie et offrant plus de bien-être physique. Tout cela est merveilleux.
Mais, Amérique, il m’apparaît que votre progrès moral ne suit pas votre progrès scientifique. Que de choses dans votre vie moderne peuvent être résumées dans le mot de votre poète Thoreau : « Des moyens améliorés pour une fin qui ne l’est pas ». Par votre génie scientifique, vous avez fait du monde un voisinage, mais vous n’avez pas employé votre génie moral et spirituel pour en faire une fraternité.
Je trouve nécessaire de vous rappeler les responsabilités que vous avez de représenter les principes moraux du christianisme en un temps où ils sont si communément méprisés. Pour beaucoup d’entre vous, la moralité signifie simplement le consentement du groupe. Vous en êtes venus inconsciemment à croire que ce qui est correct est déterminé par les enquêtes d’opinions.
Chrétiens d’Amérique, je dois vous dire ce que j’écrivais aux chrétiens de Rome, il y a des années : « Ne vous conformez pas à ce monde, mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit ». Vous devez garder les hautes valeurs de la foi inaltérées pour les enfants encore à naître, vouloir porter un défi aux habitudes injustes, défendre les causes impopulaires et foncer contre le statu quo. Vous êtes appelés à être le sel de la terre, la lumière du monde, le levain actif dans la masse de la nation.
J’apprends que vous avez en Amérique un système économique connu sous le nom de capitalisme. Vous êtes devenu la nation la plus riche du monde, et vous avez mis sur pieds le système de production le plus développé que l’histoire ait jamais connu. Tout cela est merveilleux. Mais, Amérique, que de fois vous avez pris le nécessaire aux masses et donné le superflu aux privilégiés ! Si vous voulez être une nation vraiment chrétienne, vous devez résoudre ce problème. Vous ne pouvez le faire en vous tournant vers le communisme, car celui-ci est fondé sur un relativisme éthique, un matérialisme métaphysique, un totalitarisme paralysant et sur un refus des libertés fondamentales, toutes choses que le christianisme ne peut accepter. Mais vous pouvez travailler dans le cadre de la démocratie. Dieu désire que tous ses enfants jouissent des premières nécessités de la vie et il a mis dans ce monde plus que le nécessaire dans ce but précisément.
Laissez moi vous dire quelque chose concernant l’Église. Américains, je dois vous rappeler, comme je l’ai dit à beaucoup, que l’Église est le corps du Christ. Lorsque l’Église est fidèle à sa nature, elle ne connait ni division ni désunion. J’ai appris que dans le protestantisme américain il y a 250 dénominations. Le tragique est que beaucoup de groupes prétendent posséder l’absolue vérité. Un sectarisme si étroit détruit l’unité du corps du Christ. Dieu n’est ni baptiste, ni méthodiste, ni presbytérien ou épiscopalien. Je me réjouis d’entendre qu’il y a parmi vous un intérêt croissant pour l’unité et l’œcuménisme dans l’Église. On m’a dit que plusieurs hommes d’Église protestants de chez vous ont accepté l’invitation du pape Jean à être observateurs au récent concile œcuménique de Rome. C’est un signe : à la fois très significatif et salutaire.
Une autre chose qui me trouble au sujet de l’Église américaine, c’est que vous avez une Église blanche et une Église noire. Comment peut-il y avoir ségrégation dans le vrai corps du Christ ? On me dit qu’il y a plus d’intégration dans le monde du spectacle que dans l’Église chrétienne. Quelle monstruosité ! Il y a parmi vous, m’apprend-on, des chrétiens qui essaient de trouver des fondements bibliques pour justifier la ségrégation et
[1]Martin Luther King, extrait (adapté) de La force d’aimer, éd. Empreinte temps présent, 2013.